Shuai Peng interviewée par L’Equipe ? C’est Pékin qui gagne

Shuai Peng est médiatiquement réapparue dans les colonnes de la publication libre et indépendante qu’est L’Equipe. Mais quel crédit accorder à cet entretien ?

C’est dans un hôtel de Pékin, théâtre des JO d’hiver ces jours-ci, que le journal L’Equipe a pu interviewer Shuai Peng ce dimanche. Aux conditions sine qua non que les questions posées eussent été validées au préalable, et que cet entretien ne soit pas soumis à commentaires sitôt publié. Une heure durant, en ne respectant pas toujours le premier prérequis, les journalistes du quotidien sportif français ont pu sonder l’ancienne référence du double féminin, laquelle a pu annoncer notamment sa retraite des courts, à 36 ans.

Alors que la planète entière se préoccupe de son sort depuis trois mois et un post sur les réseaux sociaux – aussitôt supprimé – mettant clairement en cause un haut dignitaire du pouvoir chinois (l’ancien vice-Premier ministre Zhang Gaoli), Shuai Peng l’assure en présence du directeur de cabinet du Comité olympique chinois (COC): « Je n’ai jamais disparu. Simplement, beaucoup de gens, comme mes amis y compris du CIO, m’ont envoyé des messages, et il était tout à fait impossible de répondre à tant de messages… »

« Je n’ai jamais dit que quiconque m’avait fait subir une quelconque agression sexuelle, ajoute-t-elle par ailleurs. Ce post a donné lieu à un énorme malentendu de la part du monde extérieur. Je souhaite qu’on ne déforme plus le sens de ce post. » Pourtant ce dernier, lâché sur la Toile une demi-heure durant le 2 novembre dernier, ne peut-être sujet à interprétation: « Puisque vous n’étiez alors pas prêt à assumer une liaison avec moi, pourquoi êtes-vous revenu ? Pourquoi m’avez-vous emmenée chez vous et forcée à avoir des relations sexuelles ? Je n’ai pas de preuves et il n’y avait aucun moyen d’en laisser sur place, avait alors écrit sur Weibo la tenniswoman. Cet après-midi-là, après m’être refusée à vous, je n’ai pas pu arrêter de pleurer… »

« Un entretien où elle ne peut pas dire la vérité »

Pour Pascal Boniface, Directeur fondateur de l’Institut IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques), le message de Shuai Peng et de Pékin dans cet entretien accordé à L’Equipe est on ne peut plus clair: « Comme on pouvait s’y attendre Peng Shuai semble suivre un protocole « silence contre liberté ». Elle sera de nouveau libre mais doit revenir sur ses accusations », juge-t-il sur Twitter. Une analyse partagée sur le même réseau par le chercheur et enseignant français Antoine Bondaz: « Tout se passe exactement comme certains d’entre nous l’anticipaient fin novembre… Et c’est toujours ainsi que cela se passe en Chine. Plusieurs mois après une affaire, la personne réapparaît, donne une interview calibrée, ce qui permet à Pékin de dire que le sujet est clos. Quoi qu’elle pense vraiment ou ait vécu, elle ne peut pas l’exprimer, malheureusement. Cette interview va donc permettre aux autorités politiques de dire que quiconque continue de poser des questions cherche forcément à politiser l’affaire. […] Et surtout, l’annonce de la retraite permet de limiter toute future interview. Elle s’est exprimée dans l’Equipe et n’a plus de raison de le faire car sa carrière est derrière elle. L’affaire est close et sa présence médiatique va s’arrêter de nouveau. »

Directeur de la rédaction de L’Equipe, Jérôme Cazadieu évidemment n’est pas dupe. « On savait qu’elle ne dirait pas que la version officielle était fausse et qu’elle avait bel et bien été agressée sexuellement par un haut dirigeant chinois. C’est un entretien où elle ne peut pas dire la vérité », souffle-t-il auprès du Parisien. Pour autant, l’intéressé justifie la démarche du média sportif, qui a sollicité cette interview dès le 18 janvier. « On a surtout voulu voir dans quel état physique et moral elle était. Il fallait être en cohérence avec notre Une du 20 novembre (« Où est Shuai Peng », avait alors titré le quotidien, ndlr) pour lui dire qu’on ne l’a pas oublié et que la mobilisation autour d’elle est énorme. C’est le rôle d’un média à un moment donné d’être fidèle à ses valeurs. »

De son côté, le Comité international olympique (CIO) se pose beaucoup moins de questions. « Ce n’est pas à nous de juger, il faut aussi écouter ce qu’elle dit », souligne Mark Adams, le porte-parole de l’institution, en réaction à cette interview qui a fait le tour de la planète. Il y a deux jours, comme promis fin novembre lors d’une visioconférence surréaliste, Shuai Peng a dîné avec Thomas Bach, le patron du CIO, dans la capitale chinoise. Tout va bien dans le meilleur des mondes.

Peng Shuai : « Ma vie est comme elle doit être : rien de spécial »

La joueuse de tennis s’exprime pour la première fois dans un média international et indépendant depuis sa réapparition publique et le tourbillon qui a accompagné son message du 2 novembre. https://t.co/0mPXJBcY3s pic.twitter.com/rZbRlZxN8a

— L’ÉQUIPE (@lequipe) February 6, 2022

Source : Sports.fr

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