« Le Raid Amazones, ce n’est pas un business ! »

Alexandre Debanne, fondateur du Raid Amazones, nous plonge dans les coulisses de ce seul raid féminin, solidaire et itinérant qu’il a fondé en 2001 et dont le coup d’envoi a été donné dimanche avec le décollage des participantes pour le Sri Lanka depuis Paris. La première étape de cette vingtième édition est, elle, programmée mercredi.

Alexandre Debanne, à l’aube de votre vingtième Raid Amazones, dans quel état vous trouvez-vous ?
Je suis fatigué (il éclate de rire). On n’arrête pas. On est au taquet (sic). Mon prochain week-end, ce ne sera pas avant mi-avril (rires).

L’excitation est-elle toujours la même de votre côté ?
C’est un peu différent, là. Jusqu’en 2019, on était sur une lancée où on faisait un ou deux éditions du Raid par an. Et là, ça fait deux ans que nous n’avons pas travaillé. Les engrenages sont un peu grippés (rires). En plus, on a pas mal de nouveaux dans l’organisation et deux fois plus de concurrentes, parce que nous n’avons pas bossé depuis deux ans et que les filles nous attendent. Du coup, on fait deux éditions au mois de mars espacées d’une semaine l’une de l’autre. C’est la première fois que l’on fait ça. En plus, en période Covid encore, même si on est sur la sortie, donc ça rajoute beaucoup à la difficulté. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi un pays que l’on connaît bien : le Sri Lanka, où l’on retournera pour la quatrième fois. Les gens nous connaissent bien, ils sont fans du Raid et c’est plus facile pour nous sur place au niveau d’administratif, c’est déjà ça. Après, forcément, on a le stress lié à l’envie de bien faire, comme en compétition. Mais c’est positif, car ça nous pousse à aller dans le détail.

Cela a tout d’un nouveau départ tout ça, non ?
Chaque Raid est toujours un nouveau départ. Même si nous revenons au Sri Lanka. Déjà, parce que nous ne pouvons pas nous reposer sur nos lauriers, car on change de pays tous les ans et que nous ne pouvons pas nous relâcher. Les containers repartent à chaque fois de France pour rallier la destination finale. Et il faut tout suivre de près, être sur le coup aux heures de travail du pays de destination. On est partis deux semaines avant le début du Raid (le 20 février, pour début de l’épreuve le 13 mars) pour tout verrouiller, voir si la mousson n’a pas trop esquinté les parcours, flécher les épreuves, refaire des relevés GPS, distribuer les points de check-point et les points médicaux, checker l’hôtel, que l’on a privatisé, installer l’Internet haut débit au PC course et au PC admin, checker la bouffe, les véhicules, les chauffeurs… Parce que j’ai un convoi de dix bus et s’il me manque un chauffeur, ça veut dire que j’ai trente participantes qui ne peuvent pas prendre le départ. Bref, il y a un milliard de détails qu’il faut synchroniser. Il faut vérifier que les bus passent dans les petites routes que l’on va prendre et si les points peuvent supporter, sinon il faut faire un détour.

Vous semblez tout particulièrement ravi de retrouver le Sri Lanka…
Oui, car c’est vraiment très beau. La variété de paysages est vraiment époustouflante et on peut faire plein de trucs au Sri Lanka : du surf, du kite, du trek. Il y a des plantations de thé magnifiques, les gens sont gentils, il y a une histoire, un folklore, une religion différente et une cuisine à découvrir. Tout est exotique. C’est justement ça qu’on aime. C’est pour ça que l’on va souvent dans les pays d’Asie, car c’est très asiatique et doux en même temps : l’accueil, la lumière… Il n’y a que la bouffe qui n’est pas douce : c’est très épicé. De tous les pays asiatiques que j’ai faits, c’est eux qui ont la palme (rires). En plus, les gens nous aiment bien, ils aiment beaucoup le Raid Amazones et ont envie de nous voir revenir.

« Quand je vois arriver des filles ultra sportives, je fais la grimace »

Donc vous avez choisi d’y retourner…
On y retourne, surtout que j’ai des prestataires sur place qui assurent. La fiabilité, c’est très important. En plus, sur place, le ministère du tourisme nous ouvre les portes et nous dresse le tapis rouge. Ce qui est très important aussi, parce que s’il faut se battre avec les autorités locales pour obtenir les autorisations des parcours dans des endroits très particuliers et que je veux toujours exclusifs, c’est compliqué. Là, le travail est mâché. En plus, on est sécurisés, avec l’armée, la police et la marine, qui nous donnent un coup de main sur le matériel aussi. C’est un confort dont on a besoin le Sri Lanka. C’est pour ça que je l’ai choisi pour relancer.

A chaque édition, vous contribuez, vous, personnellement à une cause sur place. En quoi allez-vous apporter votre aide cette fois-ci ?
Chaque équipe du Raid soutient une association et moi je soutiens effectivement une cause locale. Et moi, c’est toujours l’éducation des enfants. La facilité aurait été de donner à l’Unicef pour l’éducation des enfants. Sauf que toutes ces grandes ONG dépensent beaucoup d’argent en frais fixes. Et ça, ça ne me plaît pas. De toute façon, je ne vais jamais vers la facilité (rires). C’est pour ça que dans le secteur où je me trouve, je trouve toujours une aide à apporter où chaque euro ou dollar que je donne est utilisé à bon escient. Et là, avec l’aide de mon fixeur sur place (un agent de voyage installé au Sri Lanka depuis douze ans), j’ai trouvé un petit village très inaccessible où il y a une école qui a perdu son toit, mais les enfants vont quand même à l’école. Quand il pleut au Sri Lanka, je peux vous dire que ça ne rigole pas, donc on va leur refaire le toit. Pour la deuxième session, je suis sur la piste d’une petite ONG créée par des étudiants bordelais qui vient en aide à des femmes en difficulté. Des causes qui vont dans le sens de ce que nous faisons. On me rabat les bonnes causes, fiables, où il n’y a pas d’escroquerie.

Vous tenez également à ce que les concurrentes ne soient pas de pures sportives…
Nous, le sport, ce n’est pas du tout la finalité, c’est juste un moyen. Le Raid Amazones, c’est une expérience humaine où j’utilise le sport et le voyage pour la découverte. C’est le mot qui résume le mieux le concept. C’est pour ça que je change de pays tous les ans et que je m’adresse à madame tout le monde. Quand je vois arriver des filles ultra sportives, je fais un peu la grimace, car ce n’est pas la cible. Alors, oui, c’est sûr qu’elles vont gagner tranquille, mais ce n’est pas le but. D’ailleurs, il n’y a rien à gagner. Enfin, rien de matériel, car ce qu’il y a à gagner sur le plan personnel, c’est énorme.

Qu’entendez-vous exactement par « Madame tout le monde » ?
« Madame tout le monde », ce n’est pas n’importe qui. C’est juste qu’elle ne le sait pas encore (rires). Après le Raid, à ses yeux comme aux yeux des autres, elle n’est plus du tout n’importe qui. Elle l’était avant d’arriver, mais elle ressort complètement différente. Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les concurrentes elles-mêmes. Au retour, il y en a plein qui changent totalement de vie : privée comme professionnelle. Beaucoup prennent un vrai virage en rentrant, et c’est le but. Le Raid Amazones, ce n’est pas un business ! Mon accident de moto, que j’ai eu il y a longtemps et dont j’ai réussi à me sortir, a changé ma vie en positif. Du coup, je transmets le message, sauf que je remplace l’accident par le sport (rires). Et ça marche bien. Les femmes qui viennent chez nous ont entre 30 et 60 ans. Elles viennent se regarder dans un miroir qu’on leur tend et viennent chercher une réponse. Il y a pas mal de femmes en rémission du cancer, il y a la mère qui vient avec ses filles car elles veulent vraiment consolider un lien très fort. J’ai eu aussi trois sœurs qui ne s’entendaient pas et sont reparties pour la vie. De toute façon, toutes celles qui viennent se font des amies pour la vie en l’espace d’une semaine. C’est ça le Raid Amazones.

« Les nanas me disent que je leur fais économiser quinze ans de pyschothérapie »

L’émotion est donc omniprésente ?
Ça pleure beaucoup au Raid Amazones, car la plupart des concurrentes sont des mamans. Et ce sont des filles, et ce qui est génial avec les filles, c’est que l’émotion, elles la sortent cash, sans regarder la montre pour voir si elles perdent du temps. Je leur explique avant qu’elles arrivent qu’il y aura quelques check-point devant des écoles, donc qu’elles prévoient des fournitures scolaires qu’elles pourront donner de la main à la main aux élèves. Le moment est tellement magique qu’elles n’en ont plus rien à faire du chrono. Il y a en a qui s’arrêtent un quart d’heure, qui font des photos, même si ce n’est pas la même langue. Ce n’est que ça le Raid.

Est-ce pour cette raison que avez décidé de l’ouvrir uniquement aux femmes ?
Oui, car elles sont beaucoup plus sensibles à ça. Nous autres, les garçons, on ne perd pas de temps à ce genre de choses. Chez les garçons, un qui tombe d’une équipe concurrente, c’est une place de gagnée. Chez les filles, quand une concurrente tombe, elles s’arrêtent et lui portent secours. C’est complètement différent.

Le Raid Amazones présente également la particularité de ne compter aucune célébrité parmi ses participantes. Était-ce un souhait de votre part ?
Oui, car c’est une expérience humaine. Il faut que vous sachiez une chose, et j’y tiens beaucoup, c’est que la première expérience du Raid, c’est de réunir le financement, sans qu’on leur donne une formation pour chercher les sponsors. Et les filles font preuve d’une imagination sans limite. Elles font des crêpes, elles préparent des plats qu’elles vendent dans l’entreprise où elles travaillent le midi pour se faire de l’argent. Certaines mettent un mois, d’autres, un an ou deux ans. Elles font des vide-greniers, des lotos, des soirées dansantes… Et comme elles font ça en équipe, ça devient un jeu et elles y prennent du plaisir. Le jour du départ, à Roissy, toutes les filles qui sont là ont ramé pour trouver le financement. Je vous laisse imaginer l’ambiance ! Tout Roissy sait que nous sommes là (rires). J’ai 253 nanas folles furieuses habillées tout en rouge avec leur sac à dos du Raid qui sont chauffées à blanc. Et moi je reviens exprès du Sri Lanka pour les embarquer. Je viens les accueillir pour les embarquer quand même, c’est la moindre des choses. Je ne vous raconte pas l’ambiance. D’ailleurs, dans l’avion, il n’y a que nous.

Comment vous était venue l’idée de créer ce rendez-vous ?
C’est multiple. Il y a eu l’accident de moto. Ensuite, j’ai toujours beaucoup voyagé et fait beaucoup de sport et je voulais faire le Raid Gauloises, qui était vraiment costaud. J’ai eu mon accident de moto l’année où je devais le faire, donc je n’ai jamais pu le faire, donc j’ai calqué sur certains points, notamment le fait de changer de pays tous les ans. Et j’ai pensé aux femmes, car je considérais en 2001 mais aussi avant que les femmes avaient beaucoup de chemin à parcourir pour pouvoir tendre à l’égalité avec les hommes. Et pour moi, cela commençait déjà par leur donner les clés d’elles-mêmes pour qu’elles puissent se rendre compte de leur potentiel. Et donc de s’adresser à Madame Tout le monde et pas à des femmes déjà armées mentalement et sportivement. Aujourd’hui, les nanas me disent qu’avec le Raid Amazones, je leur fais économiser quinze ans de psychothérapie (rires). Dix jours Paris-Paris, tu rentres, tu n’es pas la même. C’est très utile, et c’est un plaisir et une récompense formidable pour moi et toute mon équipe d’organisation que de voir que nous sommes vraiment utiles aux autres, et notamment à ces femmes qui viennent. Car c’est sur longue durée, on garde le contact après donc on voit un changement immense dans leur vie et l’évolution, et ça nous fait un plaisir immense de voir que nous y avons contribué.

Source : Sports.fr

Partager cet article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.